Présentation
L’exposition se présente en trois parties.
La première partie occupe le couloir et le hall d’entrée. Dans ces espaces sont présentés des documents, reproductions de tableaux, photocopies de textes historiques en relation à l’histoire du château, de Louis XVIII et allant jusqu’à la Commune. Ces documents sont présentés et retravaillés par l’artiste.
La seconde partie consiste en une installation dans la Salle à manger. Cette installation porte le titre du cabinet du roi, allusion à une peinture de Gérard représentant Louis XVIII dans son cabinet de travail.
Elle se compose d’une grande boîte noire placée au centre de la salle. Cette boîte mesure 3m60 x 3m60 fabriquée en contre-plaqué recouvert d’une lasure noire laissant voir les veines du bois. La boite se compose en trois faces fermées et une ouverte. En entrant dans la salle on trouve posée au sol et adossée à l’extérieur de cette boite une peinture (195 x 130 cm) d’après le portrait de Louis XVIII par Gros.
Dans la boite sont adossées à chaque mur une toile de 130 x 130 cm représentant des enfants guerriers. Au centre, décroché du plafond et posé au sol, le chandelier de la Salle à manger.
La troisième partie se trouve dans l’escalier, sur le palier et dans la salle à l’étage. Y sont accrochés des portraits de petits formats reprenant le thème du cabinet du roi de la Salle à manger. Dans la salle se trouve une toile reprenant l’enfant dans les casseurs de pierres de Courbet face à une toile montrant une petite fille cassant des cailloux.
Genèse du projet
Quand la ville de Saint-Ouen m’a invité à exposer au château de Saint-Ouen, il m’a semblé naturel de prendre en considération le lieu et plus particulièrement son histoire.
J’ai décidé de me concentrer sur cette période, fondatrice de la démocratie moderne, qui débute avec la signature de la Charte de 1814 et se termine avec la Commune en 1871. En étudiant le déroulement politique et l’art qui a été produit à cette époque, j’ai réalisé à quel point c’était une période charnière, à quel point ce que nous considérons comme nos valeurs sociopolitiques y ont été forgées. J’ai cherché à confronter les images que nous produisons aujourd’hui à certaines de celles produites entre 1815 et 1871. J’ai retenu trois tableaux pour les fins de cette exposition ; le portrait d’apparat de Louis XVIII du Baron Gros, La Liberté guidant le peuple, de Delacroix, Les casseurs de pierre, de Courbet. Pour le portrait de Louis XVIII, j’ai pensé que, plutôt qu’un portrait d’un homme politique, l’image de l’homme d’affaire serait plus emblématique de la figure du pouvoir actuel. J’ai donc recherché sur Internet « la personne la plus riche de France ». Dans ma recherche pour des images comparables à la toile de Delacroix, je suis tombé sur ces photographies d’enfants soldats. Marqué par ces images, j’ai poursuivi dans cette veine pour les casseurs de pierre.
Pascal Convert a réalisé, en 1998, trois œuvres en cire d’après des photos de guerre. Ces œuvres, précurseurs et autrement plus élaborées que la mienne, traitent (entre autres) de la difficulté de l’image dans une société surchargée d’images. Dans un texte1, Convert évoque les difficultés auxquelles se confrontent les images de la « réalité », ces images de photoreportages, face à la méfiance du public, sursaturé d’informations contradictoires. Le danger de cette méfiance est celui d’un cynisme ambiant, universel, où plus personne ne se sent concerné, car dubitatif, face aux appels à l’aide.
Comme l’écrit Didi-Huberman2 « La durée se construit à chaque moment dans un certain rapport entre histoire et mémoire, présent et désir ». La question qui me venait à l’esprit en travaillant à ce projet était de savoir si la peinture pouvait apporter un autre regard, transformer en quelque sorte ces images3. Et si oui, quelle est cette transformation ? Depuis de nombreuses années je suis occupé par le regard informé du spectateur qui fait que nous regardons une image toujours (ou presque) avec un œil déjà chargé de notre savoir, de notre culture. Ici, dans certaines de ces toiles, j’étais attiré par cette mémoire plastique qui nous renvoie presque automatiquement à la peinture classique, sacrée, et son iconographie théâtrale. La question pour moi était de voir si, contrairement à Convert qui a cherché à épurer ces images de leur connotation culturelle, leur ‘cliché’, je pouvais précisément jouer à réitérer ce cliché pour réinstaller une idée signifiante ; le sens sans le déjà-vu ? La peinture amène une transformation, précisément par sa démarche lente (non mécanique contrairement à la photographie ou la vidéo), cette durée dans la facture tout comme la durée dans le regard que l’on pose dessus. Le problème du cliché ne se joue pas au même endroit en peinture, car celle-ci ne peut jamais prétendre ni à la vérité, ni à la nouveauté étant le produit non d’une mécanique4 mais d’un geste humain ancré dans ses traditions. La réitération du motif de la photographie en passant par la peinture - par l’accentuation de certains aspects et le recentrage sur les figures essentielles - permet-elle de réitérer à son tour le sens principal en échappant à la méfiance du public vis-à-vis d’une image tragique ?
Soyons clair, quand j’entreprends ce travail je ne cherche pas à donner de leçons, ni prétendre passer jugement sur telle ou telle situation politique ou sociale. Mon but n’est pas de faire une peinture engagée, la critique existe bien assez dans la photographie d’origine, le message était déjà assez clair et bien postulé par les textes qui les accompagnaient. La première personne à qui s’adresse ce travail reste moi-même. J’espère, par cette démarche, avoir un regard plus distancié, moins collé au sujet, qui me permette de réfléchir sur l’évolution de la société depuis ses moments fondateurs et voir où nous en sommes maintenant, en ce moment qui ressemble étrangement à l’apogée de la société de la démocratie bourgeoise.
Donc si je ne cherche pas à donner de leçons de morale, quelle est la conclusion que je tire de cet exercice ? J’aime cette phrase dans un texte de Jérémy Liron :
Car ce qui demeure n’est pas ce dont on a raison mais ce qui continue de nous poser problème ; et les peintres sont ceux de ces hommes pour lesquels plus particulièrement la peinture s’impose comme insoluble dans le temps, sœur du monde en ce qu’elle ne se résout pas, ne se délie pas.
Martin Bruneau, septembre 2012
http://www.pascalconvert.fr/histoire/lamento/lamento.html pour les excellents textes de Georges Didi-Huberman, Catherine Millet, Philippe Dagen et Bernard Stiegler.
La durée se construit à chaque moment dans un certain rapport entre histoire et mémoire, présent et désir. Mais cette construction se heurte toujours aux obstacles de l'habitude. Par exemple: nous avons, comme tous les jours, regardé les informations télévisées. Nous avons revu, pour la énième fois, ces images de feu et de sang, de guerres et de souffrances humaines. Mais sont-elles seulement des images? Ne sont-elles pas plutôt de simples extraits, au sens où l'on parle d'un extrait de film, sortes de clips des malheurs aveuglement ou bien cynisme? On ne sait plus trop bien - avec le tout-venant de la société du spectacle, assourdies dans la langue de bois médiatique, noyées dans le flux qui les emporte, le flux des clichés où nous trouvons, à bon compte, nos simulacres de repères et de significations?
Georges Didi-Huberman, Construire la durée, sur le site de Pascal Convert, op cit.
Gerhard Richter dit que la peinture doit apporter une transformation à l’image tirée de la photographie. Text, Thames & Hudson, 2009
Pascal Convert parle, dans un texte de « l'utilisation de plus en plus fréquente de vidéo de surveillance ou de vidéo amateur pour rendre compte de catastrophes ou de faits divers, la multiplication des Web Cam, pourraient rappeler la quête d'une image toujours plus innocente, de la vera eikon, l'image vraie, non faite de main d'homme... mais il ne reste que le miracle de la technique, sans mémoire, sans attente, sans contact.» http://www.pascalconvert.fr/histoire/pieta_du_kosovo/des_images_en_mercure_liquide.html#ancre