Jean-Paul Gavard-Perret

LES ILLUMINATIONS DE MARTIN BRUNEAU

En choisissant de peindre un repas entre amis, Martin Bruneau transforme un thème classique, un sujet inscrit dans le quotidien et à partir de photographies prises il y a quelques années. Toutefois le travail pictural ne se veut en rien réaliste et encore moins hyperréaliste. Il ne se veut pas non plus portrait de groupe ou commémoration d’une intimité perdue. Martin Bruneau (artiste canadien « exilé » à Autun )  entraîne sur de fausses pistes en disant peindre ces repas « avec les moyens du bord, c’est-à-dire avec les maladresses et incompétences qui sont les miennes et qui sont celles propres à toute représentation non mécanique. Le « réel » se situe peut-être dans ces maladresses et approximations ? ». De fait l’artiste, inconsciemment - si l’on en croît son affirmation – ou non, va beaucoup plus loin que les adeptes américains de la « Bad Painting ». Entre autres qu’Eric Fischl  dont le tableau d’une femme tombant d’une des tours de 11 Septembre fut interdit d’exposition ou encore que Wayne Thiebaud dont l’artiste reste toutefois assez proche quant à ses thématiques. Mais celui-ci  pose beaucoup plus la question de la peinture que celle du réalisme.
L’artiste parvient à créer des illuminations par son langage plus que par  la charge symbolique ou métaphorique que contient malgré tout ses œuvres dans lesquelles  l’appauvrissement affectif  de la société reste présent. Le sentiment de  maladresse et de gêne que le peintre dit éprouver devient une expérimentation face à des évènements émotionnels aussi simples que profonds. Des images les plus simples par effet de couleurs, matières et traits surgit une atmosphère quasiment plus onirique que réaliste. L'imaginaire et la technique du peintre vont vers une concentration de l’émotion dans une sorte de recueillement. Plus que nourritures terrestres les aliments présents sur la toile deviennent de nature spirituelle. Les pigments, leur façonnage créent une présence quasi immatérielle : tout échappe au lisse et au silence. Quelque chose vibre par la matérialité de la peinture. Le thème n’est plus qu’un prétexte à une forme de prière particulière au rassemblement même si la peinture ne s’embourbe jamais dans la psychologisation par une présence humaine.
Le naturel et l’indépendance de la picturalité sont ici essentiels.  Ils rompent et dérangent le ronronnement de l’art dans les bégaiements de sa destructuration de façade. Bruneau a dépassé ce stade infantile. Depuis longtemps il est entré en un âge de raison. Il défend la peinture en la prenant pour ce qu’elle est en ce battant avec. A ne pas faire comme tout le monde  l’artiste prend le risque d’être reconnu par personne (ou trop peu) mais il s’en fiche. Il crée des masses aussi lourdes que gazeuses dans lesquelles sous l’apparent brouillage rien ne manque au niveau de l’essence de la peinture. Si le regard de Bruneau sait rencontrer des espaces intimes ses gestes savent les restituer avec une forme de concision et d’enchantement. Au pittoresque, à la variété l’artiste préfère la lenteur des approfondissements. Ils obligent à se frayer de nouveaux chemins au sein de la réalité la plus simple comme dans une forêt vierge.
Et là où certains pourraient croire à un conformisme  se découvre une liberté qui détourne des étiquettes. Même la « Bad Painting » ne pourrait donc que réduire la force et l’individualisme de l’œuvre. Elle possède un point de vue non seulement sur la vie mais sur la peinture et s’y tient. Qu’importe les possibles malentendus :  il faut se laisser prendre par les « maladresse » et « approximations » que Bruneau revendique car il est pressant de dessiller les yeux des bien pensants qui s’obstinent à voir en sa peinture une simple composante du réalisme. Le réel n’a d’intérêt en peinture que s’il est comme le peintre le propose : re-présenté en réinterprétant ou en jetant cul par-dessus tête un certain nombre de règles.
 Jean-Paul Gavard-Perret