Annette Willwohl

Quelques pensées à propos des œuvres de Martin Bruneau, exposition à la Maison de la Bourgogne, 4 juin 2008

Cette fois c’est un artiste qui vient de la petite bourgade d’Autun dans le Morvan en Bourgogne et qui expose dans le pavillon de verre et dans les locaux de la Maison de la Bourgogne.

Martin Bruneau est né au Canada et il vit en Bourgogne depuis 1992, après ses études des Beaux Arts à Montréal et à Paris. A part à Paris et au Canada, il a exposé également à Berlin et à Dresde, et maintenant donc ici à Mayence.

Martin Bruneau aime citer dans ses travaux les œuvres de l’histoire de l’art. S’il transforme dans sa peinture L’infante Margarita de Velasquez en lui soufflant la tête dans un acte constructif de destruction ou s’il retravaille une œuvre de Van Dyck, à chaque fois le modèle historique choisi  n’est autre qu’un motif dont Bruneau se sert en tant que base pour des modifications spécifiques. Comme dans la méthode photoshop, l’œuvre originale est retravaillée, posée sur la tête, tournée à droite, agrandie comme un blow-up ou elle est débitée en ses composants dans la manière du montage.

Ainsi, l’artiste peut jouer avec les significations dont est chargée l’œuvre connue dans l’histoire de l’art.  Pour Bruneau ces modèles ne sont rien d’autre que des « signes ». Il ne repeint pas le motif comme le fait p ex Picasso avec le ‘déjeuner sur l’herbe’ de Manet, mais il prend le modèle en tant qu’objet, qui doit subir des transformations diverses.

Pour l’exposition de Mayence, et en référence à l’Allemagne, Martin Bruneau s’est penché sur l’art d’Albrecht Dürer.

Les grandes lithos dans le pavillon de verre ont pour modèle une eau-forte de 1504 de Dürer, titrée ‘la Chute’.

Eve, en souriant tendrement,  tend une pomme à Adam, et elle en cache une autre. Adam est prêt à saisir la pomme. Les deux se tiennent dans une position classique de contrapposto, comme les fameuses statues de l’antiquité, p ex  l’Apollon du Belvédère et la Vénus de Médicis. Le poids des corps repose sur la jambe de soutien, pendant que le pied de la jambe libre dont les orteils touchent à peine le sol esquisse un pas sur le côté.

La hanche au dessus de la jambe de soutien est légèrement levée, son épaule est baissée.

Dürer s’était employé à systématiser la position et l’échelle de ses personnages – citation -   « avec le compas et l’équerre ».
Son eau-forte d’Adam et Eve s’en sort un peu raide.

Albrecht Dürer voulait représenter dans cette œuvre des corps humains parfaits, qui devaient être classiques selon l’iconographie et dans leur apparition formelle. Il s’orientait aux modèles italiens, et proportionnait Adam et Eve suivant la théorie de l’Homme bien proportionné de l’architecte romain Vitruve.

 Dans l’eau-forte « La Chute » Dürer oppose un nu masculin à un nu féminin. Les deux personnages sont disposés en ligne sur un plan commun contre le clair-obscur d’un bosquet.

Cependant, on ne voit pas ce bosquet dans l’œuvre de Bruneau. Le fond lui importe aussi peu que les autres parties de l’eau-forte de Dürer, mais qui auraient été pour l’observateur du 16ème siècle tout à fait signifiants. Par exemple une souris et le chat prêt à bondir, qui symbolisent la relation tendue entre Adam et Eve.

Ou le sorbier que tient Adam et qui n’y est pas seulement un accessoire pittoresque, mais signifie l’arbre de la vie.

Et chez Martin Bruneau ? Il n’y a rien de tout cela. La Chute est réduite aux deux personnages d’Adam et Eve. Il n’y a pas de fond d’image, seulement les silhouettes sur une grande feuille blanche. La Chute est représentée sans signification religieuse aucune. Même le serpent diabolique manque chez Bruneau. Il n’y allait pas graphiquement, dit l’artiste. Je pense, qu’il n’allait pas avec sa vision de la Chute. Ce n’est pas une tentation qui est représentée, mais simplement une remise innocente d’une pomme.

En contrepartie cependant  en série et en quatre exemplaires un objet exposé qui remplit l’espace. Par cette multiplication Bruneau détache, comme avant lui Andy Warhol avec ses sérigraphies reproduites par milliers, l’image célèbre de Dürer de son intégration dans le contexte de la tradition.

Seulement ce qui est répété souvent est réellement grand. Ainsi, la paraphrase de Bruneau suit la logique de Warhol : plus est plus.

La lithographie de Martin Bruneau comporte 16 parties. Eve est imprimée sur 7 feuilles, il a utilisé 8 feuilles pour Adam et au milieu se trouve une feuille de jonction avec les bras et une pomme colorée à la main.

Non seulement cette division permet des grands formats malgré des presses de lithos relativement petites – Eve par exemple fait avec ses 1,80 m plus que grandeur nature – cela démontre la technique du montage significatif pour Bruneau. Chaque feuille d’un blanc différent est imprimée différemment. La lithographie de Dürer est pour Martin Bruneau simplement le point de départ pour des interprétations spécifiques.

Là, il imprime des feuilles de figuier comme des pochoirs vertes, là il utilise le pittoresque du pastel, il tapote avec ses doigts de l’encre et modifie la feuille à la manière du Pop Art.

En modifiant/reproduisant l’eau-forte de Dürer, donc en choisissant une autre facture(…comme c’est fait…) ,d’autres couleurs et d’autres dimensions, Martin Bruneau nous montre le changement de la société depuis la création de l’œuvre de Dürer. 
 

Le modèle de Dürer renvoie sur un temps de croyance religieuse, quand les motifs bibliques jouaient un rôle important. Mais la  signification de son eau-forte s’est modifiée dans l’adaptation par Bruneau, le même motif aujourd’hui ne renvoie plus vers une existence céleste. Ils restent un homme et une femme – comme des mannequins lors d’un concours représentant le prototype du féminin ou du masculin.

Ce rappel des changements sociétaux dans l’Histoire vaut aussi pour les lithographies d’après l’eau-forte de Dürer, qui sont exposées ici dans cette pièce. L’artiste a seulement travaillé une partie de l’original de Dürer, a savoir la tête d’Adam.

Martin Bruneau change ici la litho dans la forme d’une gouache, avec des points rouges et des dessins verts. Ou bien il colle des carrés multicolores comme des confettis et actualise ainsi le modèle dans le sens d’un montage déstructuré. L’influence de Rauschenberg, Baselitz ou Gerhard Richter se fait absolument sentir dans ses œuvres.

Encore quelques mots concernant la technique : le principe de la lithographie est basé sur les propriétés de la graisse et de l’eau de se rejeter mutuellement.  L’endroit gras d’une surface n’absorbe pas l’eau et sur une surface humide, la graisse n’adhère pas. Il s’agit donc de poser un dessin avec des craies, des encres ou des crayons gras sur une pierre particulièrement appropriée et qui sera ensuite imprimé à l’envers.

Le travail à l’envers peut constituer une difficulté de cette technique d’impression. Ce n’est pas le cas ici. Les personnages d’Adam et Eve sont effectivement à l’envers par rapport à ‘eau- forte de Dürer, mais Martin Bruneau pouvait ainsi reconstituer au couple son ordre original, comme Dürer les avait disposés dans son lavis qui fut le modèle pour son eau-forte.

Les feuilles de Martin Bruneau sont imprimées dans une presse manuelle, ce qui rend l’impression de chaque feuille un peu différent et ce qui donne un charme particulier à l’image. Ainsi se rajoute à cette technique une part de hasard, ce qui rend le résultat un peu moins calculable et parfait, mais artistiquement attirant.

Martin Bruneau expose en parallèle dans la Galerie Vulkan dans la Leibnitzstrasse. Ce sont des peintures à l’huile selon des portraits des princes saxons de Lucas Cranach, et dont les originaux se trouvent au musée de Reims.

Il vaut le coup de découvrir les différentes facettes de l’œuvre artistique de Martin Bruneau. Des extraits de l’œuvre graphique ici dans la Maison de la Bourgogne ou la peinture à l’huile intensément colorée dans la Galerie Vulkan – nous trouvons un artiste qui transporte les œuvres historiques dans l’époque actuelle et qui montre au-delà du motif de l’origine une image actuelle de l’existence humaine.

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